Après le récit de Vincent Le Parc sur la Loutre d' Europe, voici celui de Deborah Heleschewitz, bénévole, qui nous raconte ses sorties nocturnes avec l'équipe de la Sepanlog.
A la sortie de l'hiver, c'est par dizaines et même parfois par centaines pour certaines espèces, que les amphibiens entament une lente migration vers un point d'eau pour se reproduire. Selon la liste rouge de l'Union Internationale pour la Protection de la Nature, les amphibiens seraient le groupe vivant le plus menacé sur Terre. La variation de leurs populations est donc suivie avec attention en France grâce à des inventaires et c'est à plusieurs d’entre eux que j'ai participé avec l’équipe de la SEPANLOG.
Ci-dessus : Crapaud calamite
Les amphibiens sont très discrets pendant la journée, c'est donc à la tombée de la nuit que Vincent, Amélie et moi, bénévoles de la SEPANLOG, rejoignons Elsa Magoga à la Réserve Naturelle Nationale de l’étang de la Mazière.
C'est en qualité de chargée de mission Natura 2000 sur l'Ourbise et l'Avance, deux rivières du Lot-et-Garonne, qu’Elsa effectue les inventaires tous les ans en suivant un protocole (Popamphibien).
Après un bref exposé pour identifier les espèces que nous avons le plus de chance de croiser, nous partons en voiture vers les mares et rivières abritant les amphibiens.
Ces animaux sont dépendants des milieux aquatiques pour le développement de leurs jeunes et sont donc particulièrement sensibles à l'altération de leur habitat ce qui en font de véritables bio-indicateurs sur l'état des milieux.
Il ne fait pas encore tout à fait nuit quand nous arrivons sur le premier site de la soirée. Bottes enfilées et épuisette sur l'épaule, nous empruntons, à la suite d’Elsa, une piste forestière qui nous amène à une étendue d'eau. Là, quelques minutes de silence sont observées, le temps d'écouter les chants des grenouilles et crapauds.
C'est un critère complémentaire à la reconnaissance de l'animal à vue ; certaines, qui se ressemblent beaucoup, comme les différentes espèces de "grenouilles vertes", n'auront pas le même chant. Ce rituel sera observé sur les différents sites et, si quelqu'un de passage nous avait vu, silencieusement assemblés autour d'un lac aux alentours de la pleine lune, cela aurait pu entraîner plus d'un haussement de sourcil. Mais à part le hululement de la hulotte et le bruit du vent dans les pins, aucun bruit ne trouble le silence.
Ci-dessus : Grenouille agile Après ce recueillement, les frontales sont allumées et chaque plan d'eau, de l'étang à la petite flaque, aura droit à une inspection minutieuse pour identifier la présence ou non d'une espèce. Certaines sont recherchées comme le Triton palmé ou la larve de Salamandre, ne faisant pas plus de quelques centimètres, il faut rester bien attentif. Les premières espèces ne tardent pas à apparaître sous les faisceaux des lampes : la Grenouille agile reconnaissable à ses longues pattes arrières, sa couleur feuille morte et son chant qu’elle émet sous l'eau, ressemblant à un ronronnement doux. Mais aussi les Crapauds épineux, immobiles lorsqu’éclairés, même si la couleur vert jaune des mâles ne les rendent pas très discrets. Chaque bénévole se charge de compter les individus d'une espèce différente qu'Elsa relève dans un carnet pour chaque arrêt.
Ci-dessus : Triton palmé La deuxième mare visitée, malgré sa petite taille, se révèle très riche en tritons. Il suffit de rester un peu sur le bord et d'observer attentivement les feuilles qui tapissent le fond pour les voir s'en extraire, faire un rapide aller-retour ondulant vers la surface pour attraper quelques proies et revenir aussi vite. Certains mâles, reconnaissables à leur pattes arrières palmées, font de leur mieux pour séduire les femelles passant à leur proximité en agitant fortement leur queue comme une bannière. Beaucoup plus craintifs, les Tritons marbrés se dissimulent rapidement dans la végétation aquatique lorsqu’on les éclaire. Plus grands que leurs cousins, ils sont aussi plus colorés, verts et noirs, les mâles ont une crête sur le dos qui les font un peu ressembler à des dinosaures alors que les femelles ont une simple ligne orange.
Enfin, au dernier arrêt, plusieurs crapauds sur la route nous avertissent de l'abondance que nous allons y trouver. Et, en effet, plus de 500 Crapauds épineux sont comptés en quelques minutes par Amélie dans la rivière et sur ses berges. Il suffisait d'éclairer les bords pour voir une multitude de petits yeux briller dans la pénombre. Cette abondance fait également l'affaire des prédateurs et nous voyons plusieurs crapauds en pyjama ; signature de la Loutre d’Europe qui mange l'arrière des crapauds en laissant la peau qui présente des glandes à toxines. La plupart des crapauds présents sont des mâles mais il y a aussi des amplexus, la méthode d'accouplement étant externe, le mâle monte sur la femelle beaucoup plus grosse que lui afin de pouvoir féconder les rubans d’œufs qui seront émis. Lorsqu'un crapaud mâle ne réussit pas à avoir l'avantage, on voit la formation de véritables boules de crapauds autour d'une femelle où les mâles se battent en émettant de petits coassements discrets.
Ci-dessus : Larve de Salamandre Une autre soirée d’inventaire nous amène à un ancien moulin et le temps est pluvieux, ce qui fait tout à fait l’affaire des salamandres qui apprécient particulièrement la pluie pour se déplacer. Les femelles rejoignent des plans d’eau peu profonds pour mettre au monde leur larves, reconnaissables aux tâches blanches à la naissance de leurs pattes et aux branchies sur la tête pour mieux capter l’oxygène présent dans l’eau. Nous avons la chance d’en voir beaucoup qui se laissent patiemment photographier par Vincent. La couleur noire et jaune des salamandres vise à avertir les prédateurs qu’elles ne sont pas comestibles mais lui donne également la faculté de se fondre à merveille dans les tâches de lumières qui parsèment les sous-sols des forêts.
Ci-dessus : Salamandre tachetée Lors d’un autre arrêt, nous avons soigneusement inspecté les bords d'une route où Elsa nous a dit qu'elle avait vu un Pélobate cultripède l'année dernière. Cette fois-ci, nous n'avons pas cette chance, ce crapaud assez rare reste invisible et nous donnera peut-être rendez-vous en avril... A moins qu'il ne se soit enfoui dans le sable à notre arrivée grâce aux excroissances présentes sur ses pattes arrières, qui lui ont d'ailleurs donné son nom : le Pélobate à couteaux. Mais nous ne restons pas bredouilles longtemps puisqu'une petite flaque dans un fossé nous permet de voir un Crapaud calamite, quelques Tritons palmés et, un peu plus loin, un beau Triton marbré.
Ci-dessus : Triton marbré
Alors, si vous prenez votre voiture la nuit, au début du printemps, rappelez-vous de lever le pied ! Et si vous voulez plus d'informations sur les amphibiens, ces auxiliaires des jardiniers qui éliminent les moustiques et les limaces, voici une petite sélection de liens utiles :
« Bilan_POP_sept2020_v4.pdf ».
«Communique_presse_Liste_rouge_Reptiles_et_Amphibiens_de_France_metropolitaine.pdf ». https://uicn.fr/wp-content/uploads/2015/09/Communique_presse_Liste_rouge_Reptiles_et_Amphibiens_de_France_metropolitaine.pdf.
« Levons le pied pour les crapauds et ceux qui les ramassent ! • ASPAS ». ASPAS (blog), 24 février 2014. https://www.aspas-nature.org/levons-le-pied-pour-les-crapauds-et-ceux-qui-les-ramassent-2/.« Rana dalmatina | DORIS ». https://doris.ffessm.fr/Especes/Rana-dalmatina-Grenouille-agile-2767.
« Société Herpétologique de France | La SHF ».
TEXTE : Deborah Heleschewitz
PHOTOS : Vincent Le Parc